accueil

Monticello et la Balagne dans la seconde moitié du quattrecento



  


On notera pour commencer que le milieu du XVème siècle est propice aux grandes constructions militaires ou religieuses, qui marqueront durablement l’histoire de la Balagne : d’une part, l’Office de Saint-Georges fait construire le château-fort, au cœur même de Calvi (1454) ; d’autre part, le couvent d’Aregno (aujourd’hui de Corbara) est fondé en 1456 par Mariano de Muro et le padre Matteo d’Occhiatana (on remarquera que, curieusement, aucun des deux n’est, semble t’il, de la pieve d’Aregno).



En 1453, année de la prise de Constantinople par les Turcs et du décès du vieux Tomasso Campofregoso, Gênes décide de confier la Corse, comme d’autres colonies d’Orient, à l’Office de Saint-Georges, qui est alors, dans l’anarchie régnante, le seul organisme capable d’assurer une bonne administration. On négocie alors des « capitula Corsorum », sorte de constitution où sont groupés tous les points de la charte qui va lier les contractants, et les députés, parmi lesquels ceux de Balagne, en votent tous les articles, lors d’une consulta qui se tient dans la cathédrale de la Canonica (près de Biguglia), du 4 au 7 juin. Gouverneur et députés jurent d’observer les règlements et conventions de ce pacte de « concession gracieuse ». Ce texte paraît favorable aux corses : tous les privilèges antérieurs sont reconduits ; le régime fiscal confirmé ; les seigneurs doivent rester dans leurs terres, ce qui évite aux pièves de la terra del comune d’avoir à faire à eux ; l’île demeure sous la haute protection du Saint-Siège. D’autres articles règlent la fréquence et la tenue des assemblées générales, l’administration locale, le choix des notables et la nomination des fonctionnaires, tirés au sort parmi les hommes de premier plan. Un des trois lieutenants est installé à Algajola, le seul pour tout le nord de l’île. 


  

La citadelle de Calvi

En 1456, Paolo Campofregoso devient archevêque et sera doge à plusieurs reprises. En 1458, survient une nouvelle grande épidémie, qui se répétera en 1463 et 1468. Cette même année, Pietro Fregoso cède la République au roi de France Charles VII, ce qui n’empêche pas les luttes intestines de se poursuivre entre les Adorno et les Fregoso.  En 1463, Paolo Campofregoso est à nouveau doge. Il est bientôt chassé, y compris par une partie de sa famille, et tous recourent à Francesco Sforza, avec l’acceptation de Louis XI nouveau roi de France, qui demeure seigneur imminent, tandis que l’archevêque se fait pirate !


  

En 1468, Galeazzo Maria Sforza, duc de Milan, ratifie les 23 articles de statuts de l'ile, après les avoir amendés. Ils sont ceux d’un peuple souverain qui « établit, statue et ordonne » (S. Grimaldi, p.218). Sur le fond, on confirme et parfois on approfondit les textes précédents, ainsi en prévoyant la désignation des « Duodeci buoni homini », à raison de quatre par terzeri, pour la rédaction des capituli di Corsica. La recherche de cet échelon intermédiaire entre la piève (qui va progressivement perdre de son importance) et l’ensemble de la terra del comune avait du s’imposer à l’expérience. Mais surtout l’idée que la rédaction de normes juridiques, légitimant un état de droit, n’est pas seulement le fait d’une circonstance exceptionnelle, mais doit devenir une fonction permanente, est évidemment très en avance sur son temps. 


En 1478, les Milanais sont chassés, Prospero Adorno devient doge pour quelques mois, puis cède la place à Battistino Campefregoso, fils de Pietro. Celui-ci, 5 ans plus tard, en 1483, laisse la place à son oncle, l’archevêque Paolo, que sa famille réinstalle ! En 1487, il entre en conflit avec Laurent de Médicis, qui s’allie avec Giovan Paolo de Leca, qui soulève une grande partie de l’île contre l’Office, et il est battu, et en 1488, il doit céder la cité aux forces de Giovan Galeazzo, duc de Milan., qui confie le gouvernement à Agostino Adorno, mais Gênes n’est plus alors qu’un appendice du duché, que Louis XII, lors de sa descente sur l’Italie n’a aucune difficulté à annexer. 


En 1495, les « capitulae Corsorum, capitoli di Corsica » sont révisées et forment une constitution composée d’ordonnances divisées en chapitres, constituant un code, guide moral et social. Une mission envoyée à Gênes des « dodici Popolari di Corsica » (en fait, ils sont clairement adaptés aux populations di qua) révisent le Capitulaire de 1453, désormais divisé en 5 chapitres, le judiciaire, les contrats, les testaments et successions, les malefici (délits) et les « extraordinaires ».


- Un siècle plus tard, la veduta de septembre 1556, à Corte, ne demandera à la royauté française que des amendements à la constitution précédente.


  

Galeazzo Maria Sforza

 

  

En effet, les XIVème et XVème siècles sont marqués par des guerres continuelles, qui opposent principalement les seigneurs cinarcais, alliés du Roi d’Aragon (qui, fait roi de Corse, ne s’y intéresse guère, à la différence de la Sardaigne et surtout de la Sicile) aux Gouverneurs génois successifs souvent appelés par les communautés du commun, désireux de pouvoir leur résister. Quand ces guerres n’opposent plus parti aragonais et parti génois, c’est au sein de ce dernier que la guerre fait rage entre partisans de la Compagnie de Saint Georges, à qui la Sérénissime a, durant environ un siècle (à partir de la deuxième partie du XVème siècle), confié ses intérêts en Corse, et cette dernière. Et si cela ne suffit pas encore, il y aura en Corse même des conflits entre les partisans des grandes familles génoises prétendantes au poste suprême de Doge (les Adorno et les Fregoso utilisent souvent la Corse comme point de départ de leurs visées22 cf. G. della Grossa ; et A. M. Graziani, op. cit. p. 56), sans parler même des guerres privées ente Corses eux-mêmes, dont on ne sait que trop les inclinations en la matière …


C’est dire que l’île ne cesse d’être ravagée par les guerres. Toutefois, à lire les vieilles chroniques, on a comme l’impression (peut être trompeuse) qu’en ces époques particulièrement troublées la basse Balagne, et notamment la pieve d’Aregno, se trouve un peu moins exposée aux ravages guerriers que d’autres parties de l’île, si ce n’est au XVème siècle du fait des pirates catalans, au service du Roi d’Aragon et de ses alliés, les seigneurs Cinarchesi . Peu de batailles importantes s’y déroulent à cette période et les caporali balanins sont rarement cités dans les combats incessants, qui déchirent l’île, en dehors de ceux de San Antonino.


On ne voit apparaître les guerres locales en pleine lumière qu’à partir de 1475, alors que la suzeraineté milanaise finit de s’effilocher (dans l’indifférence même du Duc Galeazzo Maria Sforza, trop occupé sur la terre ferme) et que la Corse est à nouveau aux prises à l’anarchie suscitée par les ambitions des chefs militaires les puissants. En cette année, il s’agit de Carlo della Rocca et il tient une veduta en Balagne (ce qui est une véritable exception historique), où il se fait élire « difensore de’ populi della Corsica » ; gouvernant, il nomme deux capitaines du peuple Guglielmo de Sant’Antonino et Lanzalavo de Corbara. Mais ce pouvoir de Carlo della Rocca, qui a installé sa « capitale » à Vescovato ne durera, comme bien d’autres, que quelques mois.


Aussi éphémère semble avoir été l’influence de Ristorcello di Sant’Antonino, avec ses « seguacci e clienti » et allié, en 1483, de Giocante di Leca, qui tente de s’opposer à l’intervention du seigneur de Piombino, descendant des Malaspina, qui avait été appelé par les notables de la Terra del Comune, exaspérés de toutes les discordes entre seigneurs et entre caporali. De fait, au mois d’août de cette même année se déroule près de Sant’Antonino un affrontement très dur entre les partisans des deux cousins Giovanpaolo (auquel est allié Ristorcello) et Rinuccio di Leca, qui se poursuit ensuite à Belgude, et battu, le seigneur de Piombino doit s’embarquer pour sa seigneurie. Mais, Giovanpaolo mène alors deux guerres successives contre l’Office de Saint-Georges, ses partisans, dont Ristorcello de Sant’Antonino doivent s’exiler en Sardaigne (où ils sont encore proscrits en 1493-1496). Mais, en 1498, quand Giovanpaolo se lance dans une troisième guerre contre San Giorgio, l’Office compte notamment parmi ses amis les plus sûrs dans l’île, Lanzalavo della Corbara et Ghjuan Francesco de Sant’Antonino. De même, lors de sa quatrième tentative, en 1501, il ne peut rallier Francesco de Sant’Antonino (probablement le précédent).


  


A supposer que notre hypothèse, peut-être optimiste, sur le caractère relativement épargné de la basse Balagne soit confirmée par des analyses plus documentées, cela pourrait être du, pour une part à l’appartenance à la terra del comune, moins soumise, par principe aux tribulations des guerres seigneuriales, quoique d’autres parties de la même terra (Corte, Biguglia, Nebbio ou Niolo) se trouvent bien plus souvent citées dans les chroniques guerrières ; le calme relatif pourrait alors davantage provenir du relatif enclavement de la Balagne, véritable île dans l’île, qui la rendait d’autant moins stratégique pour le contrôle d’ensemble de l’île (les combats principaux semblent se situer sur un axe entre Biguglia, capitale éphémère, et Bastia, qui est créé à cette époque, d’une part, et, d’autre part, Bonifacio, dominé par les Génois et la Cinarca, terre par excellence des seigneurs pro-aragonais, en passant par Corte) qu’elle ne disposait pas non plus de port significatif en propre, entre Calvi et Saint-Florent ; peut-être aussi une présence génoise relativement forte entre Algajola et Calvi a pu jouer un rôle relativement dissuasif, du moins jusqu’à ce que Calvi devienne au 16ème siècle, un lieu fondamental de la présence génoise.

  


Retour à la page d'accueil

Le couvent de Corbara

Blason de Giovan Paolo di Leca