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Vortica et Monticello

après la révolution anti seigneuriale de 1359



  

Nos communautés villageoises s’intègrent donc dans ce fonctionnement propre à toute la terra del comune (c’est à dire sous la forme d’un lien qui se veut contractuel avec Gênes), qui a supprimé la féodalité seigneuriale, mais non pas la féodalité conventuelle. Ainsi, en 1370, de nouvelles redevances seront perçues pour le compte de l’Eglise de Santa Reparata, puis encore au début du XVème siècle : « item lo rectore di Sancta Susanna in Balagna » (Geneviève Morachini-Mazel, in Corsica, p. 135,).


Les communautés de Vortica et de Monticello demeurent encore distinctes tout au long du XVème siècle, notamment sur le plan religieux : ainsi, « on retient le nom des clercs qui ont reçu le bénéfice de Sainte Suzanne, avec les revenus des terres qui lui étaient attachées : en 1399, Antolivo, fils de Nerpiolo de Monticello est recteur ... A la date de 1400, on procède à la nomination d’un recteur de Sainte Suzanne », le notaire étant Thomas Meucci.


Au tournant du XVIème siècle, il existe donc toujours deux communautés distinctes : on sait ainsi qu’en 1496 Nicolao Boerio de Tabia de Gênes est recteur de Santa Suzanna.


  

Les ruines du chateau de Giudice della Rocca en haut de la colline de la Columbaghja au dessus de Monticello

En 1498, il y aurait eu alors 240 habitants à Sainte Suzanne et 400 à San Quilico, selon le Révérend Marini, chargé de collecter les gabelles. En 1507, Vincenzo de Tabia (14 livres de Gênes) est à son tour recteur. Ce sont les attaques barbaresques du XVIème siècle qui conduiront à l’abandon de Sainte Suzanne et à la fusion des deux communautés.


Les plus vieilles familles actuelles de Monticello remontent certainement  à la fin du Moyen Age


D’un côté, la tradition orale nous apprend ainsi que les plus vieilles familles de Monticello auraient été les Catinchi, les Giorgi, les Graziani et les Orticoni. Aujourd’hui, les recherches historiques et généalogiques nous permettent de remonter à la fin du moyen âge, pour mieux préciser ce qui est fondé et ce qui est, sans doute, l’objet d’invention plus tardive …


D‘un autre côté, le XVème siécle est le siècle le plus reculé où on puisse faire remonter une ascendance généalogique continue pour certaines familles de notre petite région : celui de César Fabiani, de Palmento (qui serait venu d’Italie vers 1400) et sa descendance directe ; celui de Nicolo Graziani, de Monticello, probablement né vers 1480, mais nous ne savons rien de leur rôle, même s’ils étaient évidemment des « principali » . A partir du siècle suivant, nous serons capables de mêler certains de leurs descendants et d’autres familles à l’histoire locale. Quant aux Catinchi (partis pour le Cap Corse et les Amériques au XIXème siècle), et les Giorgi, on ne leur connaît certes pas encore d’ancêtres médiévaux, mais leur présence est bien attestée, en même temps que les Morazzzani, dès les siècles suivants. C’est cependant la généalogie des Orticoni, qui posent les questions les plus intrigantes :


  

L’Abbé Orticoni, tellement attaché à sa famille (comme le démontre le titre de son livre, les procès qu’il mena, etc.), fait remonter l’origine de celle-ci à Giudice della Rocca, seigneur de Vortica ou Ortica. Sur l’existence du château et du rôle de Giudice, l’histoire moderne confirme ses dires. Mais il n’en résulte aucune preuve évidente de continuité généalogique entre Giudice et sa famille. Comme l’écrit notre abbé : « il faut dire que la tradition n’est pas toujours en concordance avec l’histoire en ce qui concerne l’origine de Giudice et le nombre de ses enfants ». La suite de son raisonnement est cependant quelque peu spécieux : « quant au nombre de ses fils, il est vrai que la tradition en compte seulement deux, bien qu’on ignore leurs prénoms, mais il serait fort probable que les deux autres soient morts au combat ou simplement enfants illégitimes. La tradition ne peut pas nous transmettre les faits aussi nettement que l’histoire, qui nous présente les évènements tels qu’ils se sont passés, du moins en s’appuyant sur des faits solides. La disparité entre la tradition et l’histoire sur les origines du comte Giudice et sur le nombre de ses fils, ne doit pas être considérée comme une contradiction entre les deux documents, mais comme une simple omission de peu d’importance. Si l’histoire nous dit que l’origine de Giudice était Della Rocca, qu’il avait quatre fils dont elle nous donne les noms, si la tradition nous dit que Giudice était pisan, qu’il avait deux fils, toutes les deux s’accordent cependant sur le principe et sur le fond que le chevalier Giudice a fait construire le château d’Ortica, qu’il est le créateur de la famille Orticoni, laquelle, après avoir abandonné le château, s’établit, qui, à Monticello, qui à Santa Reparata. On peut donc dire que, tradition et histoire s’accordent pour ce qui est de la construction du château par Giudice et pour le fait qu’il soit notre ancêtre, et elles ne se contredisent pas pour les autres faits ».

  

Le blason de Giudice della Rocca

  

Mais il n’apporte pas d’élément de preuve de sa dernière affirmation : « un de ses descendants alla s’installer à Monticello où il possédait de nombreuses terres, et son  frère alla s’installer à Santa Reparata annexant tous les biens que la famille possédait dans ce territoire. De ces deux frères l’un était comte et l’autre marquis, d’après le chanoine Orticoni, qui écrivit également que, le marquis installé à Santa Reparata n’ayant pas eu de descendance, ses trois frères avaient perçu 70 000 lires chacun, sans compter la dot de leur sœur ». Il serait évidemment essentiel de retrouver les documents du chanoine Orticoni sur lequel l’Abbé, son petit parent, s’appuie. Si on leur accorde une part de vérité, il faut sans doute comprendre que la branche de Monticello était la branche aînée, à laquelle revenait normalement le titre comtal ; cependant, la principale difficulté est alors de datation : en effet, l’ordre seigneurial ayant disparu, dès le milieu du XIVème siècle, il faudrait dater cette « descente » sur Monticello de cette haute époque..


En fait, après cette longue quête, si son « histoire de Monticello» nous apporte des éléments d’une importance inestimable, rien ne permet de confirmer ce qui tenait le plus à cœur de l’Abbé Orticoni, à savoir que « le chevalier Giudice … est le créateur de la famille Orticoni … et le fait qu’il soit notre ancêtre ».


Nous savons aujourd’hui qu’il resta une communauté, après la destruction du château, au plus tard en 1359, maintenant pendant près de deux siècles la paroisse de Sainte Suzanne. Il est pratiquement certain que le patronyme Orticoni descend de Vortica, mais tous les Orticoni relèvent-ils de la même souche ?: Sur ce point, l’Abbé semble hésiter, car s’il se reconnaît une souche commune avec les Orticoni de Santa Reparata, il ne dit rien de tel avec les autres familles Orticoni de Monticello. En second lieu, cette souche serait-elle celle de Giudice ? En fait, nous ne savons pas à quelle époque une branche descendit s’installer à Monticello, car on n’en trouve pas trace avant les années 158O, Or, les premiers Orticoni, dont nous ayons une connaissance généalogique certaine, au XVIème siècle, d’une part Antonio, et son fils Cruciano Orticoni (enterré à la place d’honneur dans l’église Saint Sébastien), d’autre part, Pio Orticoni, l’aïeul direct de notre Abbé (dont nous connaissons plus de 2000 descendants directs …) n’ont pas de liens connus de parenté avec les (éventuels) descendants de Giudice de Cinarca, plus de 2 siècles auparavant. On sait seulement qu’ils appartiennent à une famille de principali, qui ont hérité du castel et de ses environs immédiats, sans que l’on sache, s’ils en sont devenus seigneurs avant ou après le passage de Giudice lors de la (re)construction de l’église Saint-Sébastien : au XVIème siècle, la branche de Monticello soit celle des ancêtres de notre chroniqueur, est, en effet, très vraisemblable, ne serait-ce qu’en fonction du patrimoine foncier en leur possession, encore qu’il soit surprenant (était-il partial ?), qu’il ne cite jamais Antonio et son fils Cruciano Orticoni, qui occupent pourtant une place éminente dans l’église Saint-Sébastien (qu’on ne trouve pas pour son aïeul direct, Pio Orticoni), pas plus qu’il ne cite, il est vrai, son confrère (et petit parent) l’Abbé Bartoli, qui écrit, à la même époque, à quelques dizaines de mètres de lui ...

  


Ainsi, pour ce qui est de l’abandon de ces lieux, il faut sans doute distinguer deux épisodes, sans doute séparés de près de deux siècles :


- d’abord, la destruction et l’abandon du lieu fortifié lui-même, qui a sans doute d’autant moins survécu à la Révolution anti-seigneuriale de 1359, qui selon les chroniqueurs ne laissa pas un château debout entre Calvi et Saint-Florent, que Vortica était le point fort des partisans de Pise, alors même que les vainqueurs allaient instituer avec la République de Gênes, elle-même victorieuse de sa vieille rivale, la « Terra del Comune ». Mais, cela n’empêcha certainement pas une importante paroisse de demeurer à proximité, sous le parrainage de Sainte Suzanne, puisque l’on sait qu’elle comportait encore environ 200 âmes, à la fin du Xvème siècle, d’après les documents fiscaux génois.


- Ensuite, il y eut l’abandon même du lieu, sans doute, à la suite des nombreuses attaques barbaresques (on en a dénombré au moins 6, au XVIème siècle), qui conduisit à fusionner les deux paroisses, lors de la (re)construction de l’Eglise Saint Sébastien, vers 1590. C’est sans doute en ces circonstances que les Orticoni (qui pouvaient déjà  comporter plusieurs familles distinctes) vinrent s’installer définitivement dans le village actuel de Monticello, tandis que d’autres, portant le même patronyme (dont les ascendants de l’illustre Chanoine Erasme du 18ème siècle), s’installèrent à Santa Reparata.


* *


Le déclin du Monastère de la Gorgonia, au XIVème siècle, il ne sera plus en état d’exercer l’ensemble de ses charges et, en particulier, son rôle économique et pastoral en Corse. Dans la deuxième partie de ce siècle, ils ne seront plus que 3 prêtres (et on imagine qu’ils n’ont guère la possibilité de s’inquiéter de leurs vastes domaines de Corse) et le Monastère est alors considéré comme abandonné. On verra qu’ils seront progressivement remplacés par les chartreux de Calci, qui sont également pisans, par une bulle du pape Grégoire XI, datée du 19/2/1374, prise sur le conseil de « gens importants » (parmi lesquels se serait trouvée Catherine de Sienne), afin de « faire raffermir la religion ». En 1425, les 2 Monastères seront unis.


Il demeurera toutefois, jusqu’en 1538, un contentieux entre bénédictins et chartreux qui pourrait sembler quelque peu vain, puisqu’il n’y aura plus personne pour occuper l’îlot … Mais ce serait oublier qu’était attachée à cette « charge », l’existence d’un patrimoine immobilier important qui a compté dans la vie de nos anciens.


Nous savons ainsi que les habitants de Monticello cultivaient les terres, biens appartenant à l’église, en location (affito) ou suivant un bail emphytéotique, moyennant une dîme versée au propriétaire, en l’espèce les Chartreux de Pise (i certosini) qui avaient succédé vers le XIVe siècle aux bénédictins. Or, les Certosini possédaient :

 

- le domaine de Sainte Suzanne comprenant au moins dix-sept terrains, selon l’abbé Orticoni, provenant de legs ou de dons.


- celui de Saint François-Xavier.


- et de nombreux terrains à Arbo, Saleccia, Bongiocu, etc.


Les vieux documents démontrent l’existence de différends sérieux, voire de procès perdus ou gagnés entre les religieux propriétaires et les monticellois. En effet, Ceux-ci ont toujours désiré acquérir les biens en question et s’affranchir de la tutelle des moines chartreux qui auraient obtenu du pape Paul III l’union à leur monastère du patrimoine de Sainte Suzanne et de celui de Saint François-Xavier. Comme le dit l’abbé Orticoni : « tra il popolo di Monticello è i monaci della certosa una seria d’affari ebbe luogo è à una procedura a succeduto l’altra… » «entre les habitants de Monticello et les moines chartreux de nombreux différends sont apparus et une procédure succédait à l’autre…». Ce cher ecclésiastique, nonobstant son état pourrait-on dire, se livre à une critique acerbe, virulente, comparable et même supérieure à celle de certains journaux satiriques de notre époque, de la conduite et des pratiques des pères chartreux qu’il accuse pratiquement d’avoir abusé de la confiance des gens envers leur ordre, pour obtenir des dons et d’avoir ainsi dépouillé de nombreuses familles, allant même jusqu’à utiliser dans ce but la dernière confession des mourants. Il dit notamment : « i certosini avevano l’arte di santamente spogliare tante povere famiglie…e abusavano in somma della simplicita di quei tempi  » « les moines chartreux possédaient l’art de dépouiller saintement tant de pauvres familles….et ils abusaient, en somme, de la naïveté des gens simples qui vivaient en ces temps là »


Conclusion


On peut résumer l’état des connaissances contemporaines, en retenant les dates charnières de cette longue période du Moyen Age et, finalement, la subdiviser en 3 grandes phases, délimitées par deux dates charnières :


- 1 014 et la défaite navale des moris nous fait sans doute basculer de façon définitive dans l’organisation chrétienne de la Corse, et, par conséquent, dans celle de la piève d’Aregno et de ses petites communautés ;


- 1359 et la révolution seigneuriale entraînent sans doute la disparition du castellet de Vortica (mais non de la communauté de Sainte Suzanne, qui vivait à proximité) et fait entrer les deux communautés de Sainte Suzanne et de San Quilico dans l’organisation de la terra del comune.


Il faudra attendre le XVIème siècle, et ses terribles attaques barbaresques, pour que les deux petites communautés en viennent à fusionner et créer le village de Monticello, tel que nous le connaissons … et l’aimons.


Bibliographie :


Franzini A., Politique et société. La Corse du Quattrocento (1433-1483), thèse de doctorat d’histoire médiévale, Université de Corte, 6 février 2003.

  


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